dimanche 28 mai 2017

Quel con, mais quel con!!!




J’avais trouvé, grâce à l’amie Grenouille, du SNAT, un article du journal "La Croix", qui était une violente diatribe anti tatouage. Et je me frottais déjà les mains, avide que je suis de croiser, virtuellement s’entend, le fer avec un adversaire, de lire ses arguments, et de les contrer.

Déception : pas la queue d’un argument, pas le plus petit début de raisonnement. Rien ! L’article, dont tu trouveras copie ci-dessous pour ta plus grande édification ne contient pas d’argument. Tout au plus une litanie de préjugés moyenâgeux, dignes finalement de ce journal qu’est La Croix. Car de ce journal, parlons-en. La Croix est au catholicisme le plus réac ce que La Pravda est au Parti communiste d’Union Soviétique. Un organe de propagande plutôt bas du cul, servile et mal foutu.

Les opinions défendues (je n’ose parler d’idées) sont celles qui se font de pire dans le catholicisme, et là, je ne parle pas de celui, charitable, de l’Abbé Pierre, non. Je parle de celui de la manif pour tous, de ce catholicisme intolérant qui refuse le mariage homo et laisse tomber un silence de plomb sur les curés pédophiles et les filières d’exil d’ancien SS vers l’Argentine ou le Paraguay.

Le lectorat, tu te l’imagines fastoche : Monsieur, coiffé avec une raie à droite (évidemment), veste en tweed, petit foulard et Clarks au pied, est coach de l’équipe féminine junior de natation de sa paroisse, Madame, chapeau cloche, coupe Chantal Goya, Loden et carré Hermès, organise des voyages de patronage au rassemblent de Taizé. Leurs quatre mioches aux prénoms prétentieux (c’est pas de leur faute) sont scolarisés chez les Frères, ce qui leur évite de jouer aux billes avec des petits malheureux élevés sans Dieu (voir même des immigrés ou, horreur, des fils de libres penseurs).

Quant à l’auteur de cet article, c’est un cuistre arrogant et pontifiant, et de la pire espèce : usant de son éducation (je dis éducation, pas intelligence, tu suis ?) pour écraser par la recherche de ses mots, un éventuel contradicteur. Son message, s’il n’était aussi creux, ne tient que parce qu’il ne cherche pas à convaincre (il faut des arguments pour cela) mais à imposer. C’est de l’argument d’autorité dans toute sa splendeur. "J’ai raison parce que j’utilise des mots de plus de trois syllabes, et si tu es d’un autre avis, c’est parce que tu es trop con que pour comprendre !".

Discuter avec ce genre de mec, ce serait comme se branler avec une râpe à fromage: des efforts pénibles pour un résultat nul. Si tu as la patience, ou la perversité dans l’humour (on ne sait jamais) de te farcir l’intégralité des sarcasmes pitoyables de ce pompeux cornichon, c’est ci-dessous :

Aux premières grandes chaleurs, les tenues de nos contemporains raccourcissent, découvrant, sur des milliers de kilomètres carrés d’épiderme, la nouveauté occidentale la plus dérisoire et la plus révélatrice de la culture de masse au XXI siècle : le tatouage. Ne pas rire, ne pas s’indigner, comprendre, conseille notre cher Spinoza. Soit. Dans le cas de cette manie, il est tout de même difficile de ne pas sourire, au moins : tant de professions de foi ineptes ou incongrûment placées, tant de dessins hideux, tant de fresques prodigieusement kitsch, tant de portraits manqués d’anonymes ou de célébrités… Il faudrait au moins conseiller aux impétrants de la Confrérie de l’aiguille encrée le merveilleux sketch de Francis Blanche et de Pierre Dac, auquel le titre de la présente chronique rend hommage : un authentique faux fakir venu d’Ind(r)e y évoque un tatouage représentant d’un côté la cueillette des olives en Basse-Provence, de l’autre un épisode de la prise de la smala d’Abdel Kader par les troupes du duc d’Aumale. Côté apophtegmes, même tableau. Qui donc a besoin de conserver à portée de vue, quand ce n’est pas dans son dos, le concentré de sa philosophie de l’existence, ou les dates de naissance et de décès de son pépé regretté ? 

Plus sérieusement : nous parlons, selon des études récentes, de 20 % de la population des États-Unis; de 15 % de celle de la France. L’extraordinaire variété des démarches qui poussent nos semblables à se tatouer est frappante : cela va de la recherche d’une certaine esthétique (sourcil tatoué, dauphin à la cheville) à des sens plus ou moins métaphysiques (érotique, religieux, politique, familial), en passant par des modes forcément éphémères (sauf pour les tatoués !) ; signalons une récente tendance franchement non figurative chez certains jeunes gens distingués (zones monochromes rectangulaires ou carrées sur le mollet ou l’épaule, traits noirs et absolument rectilignes à l’intérieur de l’avant-bras). 

La pratique du tatouage est une sorte d’oxymoron. Si elle entend singulariser son propriétaire, elle le signale en fait comme appartenant à un collectif (celui des admirateurs de Céline Dion, ou des zélateurs de Harley Davidson). Elle relève d’une extimité, pour employer un néologisme à la mode : l’intériorité de l’individu s’exprime à la surface de son corps. Étrange attribut tribal du sujet ! On se donne un corps infiniment blasonnant (lancer certains tatoués sur la question de leur programme de tatouages, c’est attirer des réponses étonnamment longues et circonstanciées). Le discours du tatoué à l’égard de ses tatouages va rarement sans ambivalence : c’est un exhibitionniste pudique ; combien de fois me suis-je fait rembarrer par des tatoués fort agacés que j’ose leur demander ce que signifiait, pour eux, telle formule latine, tel dessin aborigène, telle fleur multicolore, alors même qu’ils me les mettaient sous le nez ! 

Tout cela procède – car il faut penser à la douleur de l’opération elle-même ! – d’une extraordinaire violence dirigée contre son propre corps, que l’on marque à vie. Par sa capacité à absorber avec une apparente indifférence tout et n’importe quoi (idéogrammes chinois, imagerie religieuse, iconographie sportive, que sais-je), à la vider de tout contenu tout en s’en réclamant, le tatouage aujourd’hui est le parfait symptôme de la plasticité d’une société marchande qui a tout intérêt à ce que chacun d’entre nous se totémise ainsi (quel meilleur consommateur que celui qui veut absolument être lui-même, de toutes les façons possibles ?). 

On n’en finit pas, en une demi-page, d’un sujet aussi complexe. Car le tatouage est aussi – et par là j’entre en sympathie avec lui – une tentative d’expression personnelle ; et, peut-être, le succédané d’une œuvre chez des êtres qui n’écrivent ni ne peignent, sinon sous cette forme. Et, dans un monde où tout est censé glisser, s’effacer, comme à la surface d’un écran, ce goût de l’indélébile, si débiles soient les formes par lesquelles il s’exprime, m’apparaît soudain comme une sorte de protestation contre l’insignifiance. Car le tatouage est encore et toujours un geste transgressif, qui peut être assez terrible : je me souviens avoir vu récemment, dans une ville de Bretagne ravagée par l’alcoolisme et le chômage, deux individus farouches au visage entièrement couvert de tatouages disparaître dans un immeuble visiblement squatté. 

Cette façon de détruire cet élément capital de la sociabilité qu’est le visage me glaça, je l’avoue. Et quant à ceux qui s’imaginent s’encanailler un peu en se tatouant, savent-ils que certains esclaves romains portaient un tatouage au front ? De quoi nos tatoués sont-ils esclaves, sinon de l’injonction d’être soi, qui est bien la pire des servitudes volontaires ? 

Par Stéphane Audeguy, le 26/05/2017 à 5h32

Source : http://www.la-croix.com/Debats/Chroniques/Le-tatouage-Monsieur-Stephane-Audeguy-2017-05-26-1200850238