mercredi 29 juin 2016

Camouflage, dissimulation, reconstruction

On me demande parfois si c'est possible de cacher des cicatrices, des vergetures, ce genre de trucs. La réponse est OUI, sans hésiter. Mais on ne fait pas ce qu'on veut ; on fait ce qu'on peut.

Concrètement, cela signifie des tatouages importants, plusieurs séances, et une vraie expérience de la part du tatoueur (je n'ai, ici, pas de raisons d'être modeste, du reste, la modestie est la vertu des hypocrites). Pas mal de collègues refusent ce genre de travail, et c'est parfois tout à leur honneur: même d'excellents artistes savent , dans certains cas, qu'ils manquent du métier nécessaire; et ça ne remet pas le talent en question.

Place aux images d'un boulot en cours en ce moment: c'est plus parlant, pas vrai?



dimanche 26 juin 2016

Punk is not dead !


Illustration par Jampur Fraize


Mon ami, afin que ton dimanche ne soit pas perdu, je t'enjoins fortement à lire la dernière chronique de l'ami Serge C., du taillé au rasoir, efficace comme un coup de pied dans les burnes... où j'ai l'insigne honneur de l'ouvrir!


PLEASE KILL ME : LE CHAPITRE BELGE


Par Serge Coosemans - 25 juin 2016

Une poignée de questions ouvertes, une petite dizaine d’intervenants, certains connus, d’autres non. Des punks de 1976, des punks de 1986, des punks de 1994, des punks de 2016. A la Please Kill Me de Legs Mc Neil, l’un des meilleurs bouquins sur le punk jamais publié, voici une petite histoire orale et éclatée d’un genre, d’une esthétique et d’un mode de vie qui n’ont jamais cessé d’évoluer, ni de subjuguer. Y compris en Belgique.

1 | Teenage kicks


Jean-Michel Snoeck (la quarantaine,tatoueur, auteur de Mémoires d’un Tatoueur) : « Le punk, c’était toute ma jeunesse, une révolte, mais par nature un truc nécessairement éphémère (no future) ! Cette éphémèrité (ho, le vilain mot) fait des jeunes punks des enfants qui se déguisent avec une panoplie. »


... 

mercredi 8 juin 2016

Pourquoi se faire tatouer? Est ce que ça fait mal?






Oui, pourquoi ?

Quand on se donne la peine d’y réfléchir plus de cinq minutes, un tatouage, ça ne sert pas à grand-chose, en avoir ou pas te changera pas la vie, de personne (mis à part moi, puisque mon premier tatouage fut à l’origine d’une vocation).

C’est pourquoi je rigole toujours beaucoup - intérieurement, cela va sans dire - à chaque fois que j’entends un client, ou une cliente (curieusement, c’est souvent une nana qui me sort cette ineptie) me sortir l’excuse bidon traditionnelle des débuts d’été : "Ha mais oui, je sais, je n’ai pas pris rendez-vous, mais il faut absolument me faire mon tatouage aujourd’hui parce que sinon je suis grave dans la merde".

Comme si une personne ayant parfaitement survécu à 25 ans de vie normale sans tatouage se trouvait brusquement en péril pour n’être pas tatouée durant 24 heures de plus. Risible, non ?

Un tatouage, ça coûte des sous, ça fait mal et ça ne sert en réalité à rien.


Loin de moi l’envie d’entrer dans un long débat psychologique sur l’estime de soi, l’image corporelle et tout ce blabla : des psys, qui ont fait de longues études, sont bien plus qualifiés que ma modeste personne pour tenir ce genre de discours, émaillé comme il se doit d’un vocabulaire ponctué de mots de leur jargon professionnel dont la fonction première est d’être incompréhensible au commun des mortels, voire de faire passer les gens comme toi et moi pour des ânes.

Merci bien : je n’ai besoin de personne pour passer pour un âne, j’y arrive fort bien tout seul !

Ça coûte des sous, disais-je. Et ça fait mal. Sur la question des sous, je reviendrais plus avant dans mon prochain livre, mais je vais profiter sans honte ni vergogne du fait que j’ai parlé de douleur pour digresser sur ce point précis.

La question de la douleur, c’est la première qu’on me pose, presque toujours, mais c’est aussi le sujet qui fait débat à chaque fois, et c’est le sujet sur lequel ceux qui parlent sans savoir sont les plus prolixes.

Ha que je les hais ces cuistres qui parlent avec une autorité d’autant plus grande qu’ils ne savent pas, que je déteste donc cette docte sagesse des ignorants ! Ces gueux qui affirment niaisement sont intarissables à propos de la douleur ! Les tatoueurs passent beaucoup de temps et consacrent une énergie infinie à combattre les légendes urbaines.

Au moment où j’écris ces lignes, je viens juste de terminer un tatouage sur la cheville menue d’une jolie cliente, qui est arrivée à son rendez-vous plus stressée que nécessaire. Soyons, clair, se faire tatouer n’est pas un acte anodin, même si bien des tatoueurs ont tendance à l’oublier. Quand tu vas te faire tatouer, surtout si c’est la première fois, un certain niveau de stress, une certaine anxiété est on ne peut plus normal. Personne ne s’en va poser un acte définitif, qui l’engagera à vie, et qui, de plus, sera un peu douloureux sans ressentir un brin d’angoisse. Mais une andouille aussi ignorante que bien intentionnée, qui te monte le bourrichon à propos de la douleur, tu n’as vraiment pas besoin de ça !
- Bonjour, je voudrais me faire tatouer un papillon. 
- OK, et tu voudrais ça où ?
- Ben à la base, je le voyais sur la cheville mais une copine m’as dit que ça faisait super mal à cet endroit, alors j’hésite, sur l’épaule ou sur l’omoplate.
- Et elle est tatouée sur la cheville, ta copine ?
- Non, en fait, elle a une petite rose sur la poitrine !
- Et ça fait d’elle une experte ?

Voilà typiquement le genre de dialogue, quotidien au studio. Le paradoxe, c’est que si cette nana se fait tatouer sur la cheville, elle aura effectivement plus mal qu’ailleurs, non parce qu’un tatouage sur cette partie du corps est plus douloureux, mais uniquement parce qu’elle s’y attend. La méthode "Coué", ça fonctionne dans tous les sens, à force de s’attendre à avoir mal, elle y arrivera.

"Je vais avoir mal, parce qu’on m’a dit que j’allais avoir mal, et d’ailleurs, ce tatoueur, là, avec sa tronche de brutal et ses bras couvert d’encre, il a vraiment la gueule du gars qui va me faire mal."

Inversement, l’expérience montre que quelqu’un qui arrive détendu, serein et reposé gèrera bien mieux la légère douleur du tatouage.

Le crétin qui pérore et fait l’intéressant ne rend donc service à personne, ni à ses amis, ni au tatoueur qui devras gérer ce stress, consacrant de l’énergie à rassurer son client !

La douleur est chose étrange : son intensité varie non seulement en fonction du stress, de la fatigue et de l’état physique général, mais aussi, encore qu’assez peu, en fonction des endroits (ça au moins, c’est exact, mais la cheville ne fait pas, et de loin, partie des zones les plus sensibles).

Faut-il vraiment faire une liste des endroits sensible et de ceux ou l’opération est presqu’indolore ?


Ce n’est pas certain, la sensibilité varie d’une personne à l’autre, selon un grand nombre de paramètres, dont l’âge, le sexe, l’embonpoint.

Il y a quelques années de cela, j’avais eu l’envie de me faire tatouer un grand dragon vert sur le bras gauche, en recouvrement de l’aigle rachitique qui ornait mon épaule.

Je fis appel pour cela à l’ami Bruno Kéa, un tatoueur dont j’admirais (et admire toujours) le talent. Il travaillait à cette époque à Paris. Comme j’habite Bruxelles et que les trains TGV ne reliaient pas encore les deux villes en moins d’une heure et demie, le trajet prenait tout de même trois heures, ce qui me faisait la bagatelle de six heures de trajet pour chaque séance. De plus, au vu de la taille du tatouage à réaliser, je savais que cinq ou six sessions allaient être nécessaires.

La première session dura cinq heures, et c’est très long, cinq heures à rester assis, aussi immobile que possible, à se faire tatouer. Néanmoins, j’étais détendu, j’avais bien dormi et mangé copieusement. J’encaissais donc sans problème et gérais la douleur en souplesse.

En toute logique, la deuxième séance aurait dû se dérouler aussi bien. Même tatoueur, même endroit, même réglage de machine.

Seulement voilà, la veille, je m’étais pris la tronche avec ma régulière, pour une vétille, bien entendu, tu t’en doutes, la dispute avait été sévère, du genre qui laisse des traces au moral et qui occasionne des frais de remplacement de vaisselle. Si j’avais dormi trois heures d’un sommeil de mauvaise qualité, c’était le bout du monde. Dans l’estomac, je n’avais que deux ou trois tasses de café et l’un de ces vilains casse-dalles dont les chemins de fer du monde entier ont le secret.

Au bout de trois quarts d’heure, je ne tenais plus, je demandais grâce : "écoute, Bruno, aujourd’hui, ça ne va pas, je ne gère pas la douleur."

L’ami Bruno posa donc sa machine, j’étais désolé : je lui avais bloqué son après-midi pour des clous et je m’étais envoyé un aller/retour Bruxelles –Paris pour 45 minutes de boulot !

Pas vraiment rentable, pas vrai ?

Voilà qui démontre que, même chez un sujet habitué à la délicate sensation des aiguilles, le moral influe plus que toute autre considération sur la sensation de douleur.

Comme me le hurlait dans les oreilles, au temps de ma folle jeunesse, un subtil poète en béret vert : "Hé, bite de porc, la douleur n’est qu’une information, c’est la tête qui dirige le corps, pas l’inverse".

En fait, l’aimable poésie et la finesse de la construction grammaticale de cette brute galonnée traduit en langage coloré une antique sagesse qui se vérifie dans bien des actes de la vie quotidienne !

Ceci démontre que la gestion de la douleur est un domaine aléatoire, variant non seulement d’une personne à l’autre, mais aussi en fonction des dispositions de l’esprit.

Globalement, j’ai toujours constaté, par exemple, que les femmes étaient soit plus résistantes, soit géraient mieux.

Mon excellent ami Éric, par exemple, est un bloc de force et de virilité. Adjudant dans les Commandos de son métier, se refusant, presque culturellement, toute manifestation de faiblesse, il lutte contre la douleur du tatouage comme il lutte contre la douleur de ses jambes chaque fois qu’il doit courir sur une longue distance, lesté de son casque, de son sac et de son armement.

Sauf qu’un tatouage, ce n’est pas une course Commando ; la douleur, au lieu d’être combattue avec un acharnement têtu, doit être acceptée, accueillie en amie.

Éric se faciliterait la vie en osant avouer "Heu, Jean-Mi, s’il te plait, j’ai un petit coup de mou, là, on fait une pause ?"

Non, il tombe dans les pommes.

Sa charmante épouse n’a pas ce problème, et elle passe l’obstacle « douleur » en souplesse, avec grâce et féminité.
Note, il est une catégorie de femmes que gèrent la douleur largement moins bien : je veux parler de celles issues de certaines régions d’Afrique. Remarque bien que le problème est ici uniquement culturel : aucun racisme ici. Les Afro-américaines réagissent à cet égard exactement comme leurs sœurs blanches.

Pour d’étranges raisons sans doute d’origine culturelles, donc, les africaines se sentent obligées de faire du cirque, de faire savoir au monde entier (et au tatoueur en particulier) qu’à leurs yeux, la douleur d’un tatouage est une torture atroce appliquée par un sadique de bas étage. Ce qui donne très souvent une scène du genre :

- OOOOOOOOHAAAAAAAA aieaieaie ça fait maaaaaaal, arrête, arrête !

- Oui, bon, écoute, je sais, hein, mais ce serait plus vite fini et ça ferait mal moins longtemps si tu me laissais bosser tranquillement.

- Mais ça fait mal !

- Je suis déjà tatoué, merci, je connais parfaitement la sensation, donc on s’y remet, parce que sinon, demain on est encore occupé sur ce petit truc.

- D’accord, mais doucement, hein, sois gentil, monsieur s’il te plaît hein, doucement OOOOOOHAAAAHOUUUUUUUUUUUUUUUUU

(Ici, sur un enregistrement, on risquerait fort d’entendre le soupir exaspéré d’un tatoueur dont la patience, pourtant légendaire, arrive tout doucement au bout du rouleau, voire, dans certains cas extrême, un vigoureux mais efficace "OK, maintenant, tu vas la fermer, ta gueule !")

Il convient aussi de parler, brièvement, des antidouleurs médicamenteux, la plupart étant disponible sous forme de lotion ou de pommades ; ceux en comprimés et en vente libre étant parfaitement inefficace quand à la gestion de la douleur du tatouage. L’efficacité en est excessivement limitée, tant au point de vue de la puissance qu’a celui de la durée : l’effet de ces produit est bref, très bref. En réalité, ça ne sert pas à grand-chose, sauf d’un strict point de vue psychologique. Par contre, outre le fait qu’ils ne sont en vente que sous ordonnance, ce qui obligerait celui qui tient absolument à se faire tatouer sous anesthésie à consulter son médecin traitant préalablement à chaque séance, ces produit modifie la texture de la peau, lui donnant une consistance semblable à quelque chose entre la chair d’un poisson mort depuis longtemps et un parchemin. Inutile de dire que, dans ces conditions, les tatoueurs n’apprécient pas trop ces substances, refusant même parfois de tatouer un épiderme ayant cette texture.

Ce long aparté sur la question de la douleur étant terminé, revenons à nos moutons, et à la question centrale de ce chapitre :

Pourquoi se faire tatouer ?


Je l’ai dit, non seulement se faire tatouer ne sert à rien, et en plus est douloureux. Par conséquent, il est important que la motivation soit bien claire dans l’esprit du tatoué.

Ce que je veux dire par là, c’est que toutes les motivations, ou presque, sont valables, y compris celles qui peuvent apparaître comme ridicule ou risible au plus grand nombre. "Parce que je trouve ça beau et que j’en ai toujours eu envie" est une raison aussi valable que celle qui pourrait être sous-tendue par de nobles et profond motifs philosophiques.

Je me suis déjà expliqué, dans mon premier bouquin, sur le fait que je défends et valide profondément le tatouage amoureux, sentimental ou commémoratif. En cela, je rame un chouia à contresens de pas mal de confrères.

Ce sont des engagements : un tatoué est une personne qui s’engage, et c’est déjà une belle qualité que la capacité à s’engager. Qu’un divorce ou une séparation vienne par la suite démontrer au monde que cet engagement n’était pas le bon, que ce soit in fine un échec ne change rien à la qualité humaine de celui qui est ainsi capable de s’engager d’une façon aussi définitive !

Je dis donc, toutes les raisons, ou presque.
Dans certains cas, une réflexion plus approfondie aurait été salutaire ; ce sont les cas ou l’on se ment à soi-même et au tatoueur en même temps, ne permettant donc pas à ce dernier de "recadrer" son client (à moins que pour de basses raisons financières et matérialistes, le dit tatoueur évite ce recadrage).

Si ce propos peut paraître obscur, ami lecteur avide, lis donc ce qui suit :

Une de mes clientes, que par charité je baptiserai d’un nom qui n’est pas le sien, Géraldine, par exemple (mais tu peux en choisir un autre et l’appeler Nathalie, fait comme tu le sens), rencontra un jour un tatoueur à qui je fais derechef cadeau du même anonymat : appelons le Mario.

J’avais déjà fait deux tatouages à Géraldine, et c’est un peu de ma faute si elle rencontra Mario, qui traînait une après-midi à mon studio, car c’était un bon copain.

Géraldine, une fille grande et plutôt, enfin … disons bien en chair (je suis galant), au visage un peu mou, dégageait, je dois bien l’avouer, tout le charisme d’un beignet.

Mario, qui à cette époque avait à peine moins de trente ans, c’était le contraire. Un charme méditerranéen, genre pâtre grec ou éphèbe italien : des cheveux noirs et bouclés, un front bombé de chevaux, une bouche un peu boudeuse. On se calme, Mesdemoiselles, non seulement le temps a depuis fait son œuvre et Mario a pris vingt kilos et perdu ses tifs, mais en plus il est homosexuel. Pas dans le genre folle, non, dans le genre "je suis pédé comme un sac à dos mais cela ne regarde personne et personne n’a besoin de connaitre mes préférences sexuelles". (Un sac à dos, c’est toujours sur le dos d’un mec, pas vrai ?)

J’ai toujours apprécié ce genre d’attitude : le gars Mario, sans se cacher pour autant, considérait, et considère toujours, que ce qu’il fait dans un plumard et avec qui ne regarde que lui ; après tout, moi, je ne me présente pas aux gens en disant "bonjours, Jean-Michel, qui aime à se faire sucer" !

Or donc, par miracle de l’alchimie, Géraldine tomba, comme une sotte et comme par hasard, amoureuse de Mario, lequel ne se rendit compte de rien, ou du moins l’assure-t-il encore aujourd’hui.

Elle entama, avec la timidité des filles sans grâce, de prudents travaux d’approche propres, croyait elle, à faire tomber sa proie à l’horizontale. Cela prit, est-ce un manque d’imagination, la voie d’un grand tatouage sur sa jambe, qui devait représenter en noir et blanc, un bouquet de bambous.

Quand, au moment où ses fortes cuisses furent enfin ornées de cet estimable végétal, elle se rendit compte - et pour cause - qu’elle n’avait pas progressé d’un mètre vers l’objet de sa convoitise, Géraldine ne se découragea pas. Trois séances pour un bambou en noir et blanc n’avaient pas suffi, qu’à cela ne tienne, convertissons le en bambou en couleur, ce qui nécessitera bien trois ou quatre séances de plus !

Peine perdue !

A la fin de cette histoire, commencée dans le sourire et terminée dans un sentiment de gêne un peu pénible, que crois-tu qu’il arriva ?

Géraldine comprit, et fit appel à la chirurgie au laser pour effacer, en même temps que sa honte, les traces de cette aventure.

Preuve s’il en est que la motivation, quelle qu’elle soit, doit toujours être aussi claire et clarifiée que faire se peut.

On ne se ment pas, quand on se fait tatouer : la trace de ce mensonge est indélébile. Pour faire effacer son tatouage, outres plus de deux ans de souffrance et des cicatrices modèle « grand canyon du Colorado », Géraldine a dépensé l’équivalent de la dette extérieure de l’Ouganda.

Dans bien des cas, une petite discussion à propos des motivations, avec le tatoueur, est un avantage.
Par exemple, récemment, une cliente voulait inscrire la date de décès d’un de ses proches sur le haut de son bras. À l’issue d’une petite discussion, nous en sommes venus à lui tatouer le dessin d’une chandelle, histoire d’allier le coté commémoratif de la chose avec une démarche plus artistique et surtout moins « lourde » qu’une date.

Un bon tatoueur, dans l’idéal, devrait aussi être un peu psychologue : il y a quelques années, une jeune dame vint me voir, également pour un tatouage commémoratif. Elle cherchait à faire le deuil d’un bébé mort-né, et souhaitait un tatouage en mémoire de cet enfant. Après plusieurs discussions, elle avait renoncé à ce projet, sur mon avis. Était-il bien utile de se marquer ainsi ? De rester focalisé sur ce décès ? Aujourd’hui, je suis plutôt fier du risque que j’ai pris en le lui déconseillant : elle est mère de deux enfants, dont elle porte en calligraphie les noms sur l’omoplate.

S’il peut se révéler utile de parler au tatoueur de ses motivations, il ne faut tout de même pas abuser de la chose. Clarifier les motifs pour obtenir un meilleur travail, oui, raconter sa vie, non !

Mon ami et collège Carlo, qui travaille avec moi, a , dans ce genre-là, un client fidèle qui est une vraie plaie, un pénible de compétition, un bavard qui s’obstine à nous narrer dans le menu les moindres détails d’une vie particulièrement peu intéressante. Et le bougre parle fort, du rez-de-chaussée, je l’entends alors qu’il se confesse à Carlo au deuxième étage. Si encore c’était drôle, mais non, c’est juste prodigieusement ennuyeux. La dernière fois qu’il est venu se faire encrer le cuir, nous avons ainsi appris, sans passion aucune, qu’il en veut toujours à son cousin Robert de n’être pas venu aux funérailles de sa maman (je m’en tape), que son frère a acheté une nouvelle guitare (je m’en fous) et qu’il a un oncle qui est délégué syndical, socialiste de surcroît et atteint du diabète (mais qu’est ce qu’il veut que ça nous foute ?). A l’issue de chaque séance de tatouage, l’ami Carlo, descend, l’air las, la mine fatiguée et l’œil éteint, et se fait un café avec des gestes lents, comme accablé. Nous poussons alors tous deux un long soupir de soulagement.

Au moment de prendre la décision de se faire tatouer, conscient donc de ses motivations, il convient aussi d’en connaitre les conséquences. Non que celles-ci changent vraiment la vie, mais il faut bien être conscient que le regard d’autrui pèsera son poids, quel que soit la zone tatouée.

Dans certaines professions, cela peut constituer un frein à l’engagement. C’est de moins en moins le cas, et c’est heureux (mon banquier, par exemple, est tatoué), mais cela existe encore.

Dans l’Armée Belge, les tatouages sont interdits sur les mains, dans le cou et sur le visage.

Il y a quelques années encore, la pression sociale restait importante dans certains milieux.
Je me souviens encore en souriant de la réflexion de mon ex belle-mère, une femme du reste adorable, qui voyant sa fille rentrer avec un joli dragon bleu tatoué sur la poitrine, fit la moue et déclara avec sa voie de gorge très distinguée et un peu méprisante : "c’est d’un goût !"

Nous en rions encore.

Ce qui est plus curieux, c’est que depuis que le tatouage s’est répandu dans (presque) toutes les couches de la société, on observe, de façon de moins en moins marginale, un phénomène de rejet, fort grossier, de la part d’une fange sociale que l’on n’imaginait pas si virulente.

Ce sont de petits provocateurs vulgaires, courageux jusqu’à conserver l’anonymat qui crachent par principe et uniquement pour se démarquer, sur tout ce qui a un succès populaire, que ce soit les fringues, les bagnoles ou les tatouages.

La vulgarité du propos laisse pantois, ainsi que le coté outrageusement méprisant de celui-ci, il convient donc de traiter ces pauvres arguments par le mépris. Les exemples du genre foisonnent sur le net, et je ne résiste pas à la tentation de reproduire ici les propos d’un de ces courageux rebelles, juste pour le plaisir mesquin, je l’avoue, d’exposer au plus grand nombre sa pitoyable prose.

Toutes les réserves d’usage s’imposent, tant le vocabulaire est vulgaire, bien que, tu me connais, je ne sois pas le dernier à user de termes imagés. Ne fus je pas connus jadis comme le sous-officier au langage le plus grossier à l’ouest de l’Oder ? Ok, dans mon monde, une chatte est une chatte et le désordre s’appelle le bordel, encore faut-il que ça serve le propos, ce qui n’est pas les cas, ici.
Ce petit paltoquet s’imaginant sans doute qu’il suffit d’oser écrire "caca" (sans fautes d’orthographe), pour se positionner en digne descendant du mouvement punk et pour brandir à la face du monde ébahi l’étendard d’une révolte à deux balles.

Donc :

Kikoo les tatoués ! Je vous pisse à la raie avec vos lettrages à la con qui signifient des trucs de merde. Vous pouvez vous glisser bien profond des ancres de bateaux directement dans le cul, ce sera beaucoup plus significatif pour moi. Tu l’auras compris aujourd’hui, je t’explique pourquoi tu es un petit enculé de consommateur avec des tatouages de merde. Bienvenu sur jetenculetherese.net.

Contexte historique


Depuis la nuit des temps les hommes tatouent leurs bêtes, leurs esclaves et leurs juifs.

Au siècle dernier, 10 ans av C.H (Cyril Hanouna), le tattoo était surtout un truc de taulards ou de néo-zélandais balaise. Puis certaines de nos tatas flinguées ont commencé à revenir de l’Ile de la Réunion avec un petit tattoo dauphin en souvenir de vacances exceptionnelles en club Marmara. A cette époque bénie, tout le monde trouvait que c’était un geste inconsidéré d’ultra beauf no future. Hélas tout a foutu le camp et vous êtes désormais des millions à vous graver la croupe de dessins merdiques de dragons ou de roses avec les initiales à mamie.

Consternant, n’est-ce pas ? En un sens, je crois que je préférais la morgue méprisante des bien-pensants de jadis à la bêtise de ces nouveaux rebelles en peau de lapin : au moins, ils étaient bien élevés !

jeudi 2 juin 2016

Haro sur les mendiants!


Pour taper un tatouage aux couleurs qui claquent, il n’y a pas de miracle, plusieurs facteurs interviennent : l’expérience du tatoueur (primordiale), le réglage des bécanes, le montage, la forme d’ogive et la résilience des aiguilles et enfin, la qualité des couleurs!

J’en parle aujourd’hui parce que, comme environ deux fois par mois, est venu au shop un quémandeur vulgaire, innocent et nanti d’un culot en acier inoxydable:

- Bonjour, vous vendez des couleurs?

- Non


- vous avez une adresse pour en acheter?

- Non

- M’enfin, vous achetez bien les vôtres quelque part!

- Oui, mais je ne te dirais pas où !

- C’est pas cool !

- Bon, écoute garçon, cette info-là, c’est un truc qui se transmet de bouche de tatoueur à oreille de tatoueur. Soit tu es tatoueur, et en fait, tu connais déjà l’info, soit tu ne l’es pas, et tu n’en a pas besoin, pas vrai ?

- Ouaiiiis mais heuuuuu, je tatoue chez moi et…

- Donc, t’es un concurrent. Alors, je t’explique, parce que j’en ai plein les bottes qu’on me prenne pour un pélican, pour l’UNESCO, pour Sainte Thérèse d’Avilla. Donne-moi une seule bonne raison de filer un coup de main (autrement qu’en travers de la gueule) à un gars qui va faire chez lui des tatouages au rabais, puisque tu ne paies ni loyer, ni TVA, ni lois sociales, et qui en plus va faire de la daube?

-Mais je ne fais pas de la daube!

- Alors tu es un vrai pro, pas vrai ? Et dans ce cas, retour à la case départ : tu n’as pas besoin de l’info que tu mendies tel un tamanoir glaireux !

Parce que ce genre de gueux, c’est bel et bien un concurrent : un collègue, c’est un tatoueur pro, un gars qui à, dans 99% des cas, un shop, ou qui bosse dedans…

Ces deux dernières années, des jeunes hyènes putrides ont tentés le coup ; j’ai surnommé l’un "Toison d’or", l’autre "l’enchanteur". L’un et l’autre, la bouche en cœur, se sont pointés pour mendier des conseils. Moi, bonne pomme, je leurs ai filé un ou deux conseils (pas tout, faut pas exagérer, hein!). Ces deux illuminés du bulbe, à peine rentrés dans les tanières, n’ont rien eu de plus pressé que d’aller sur fesse de bouc, proposer leurs misérables services respectifs à certaines de mes clientes (et , bien sûr, parmi les plus jolies, les sagouins!).

Alors, que les choses soient claires : le savoir, c’est pas gratos, ça s’obtient par le travail et la sueur. Je partage-parfois- le mien, mais j’ai horreur qu’on me pisse dans les bottes, surtout quand c’est de la part de couilles de loups qui osent me demander si c’est chaud, et qui tentent de me faire croire qu’il pleut!

Vu?