jeudi 9 janvier 2020

Si tu rêves de devenir tatoueur...




Avertissement aux candidats apprentis tatoueurs : le texte qui suit n’est pas sympathique, il est désagréable. S’il y a des choses que vous trouvez odieuses à lire, c’est tout à fait VOLONTAIRE !

Depuis que je turbine, J’ai eu des dizaines de candidats, seulement 12 apprentis, et uniquement deux qui sont devenus tatoueurs… les autres ont dégagé en moins de 15 jours. Alors, sait on jamais, il se pourrait bien que ce qui suit soit un test (vas savoir...)

T’es encore là ?

Bon, c’est à tes risques et périls, hein !

Tu caresses l’ambition de devenir tatoueur, et tu as déjà pigé (preuve que, tout compte fait, t’es pas si con) que les écoles de tatouage, ça n’existe pas. L’escroc qui te propose, moyennant un tas de fric et une formation de deux mois, de devenir un pro de l’aiguille n’est qu’un chacal glaireux ! Les tutos sur YouTube, c’est encore pire et la vente du kit pour débuter malin dans sa cuisine, c’est de la merde.

On est au clair là-dessus ?

Donc, la seule solution pour devenir tatoueur, c’est l’apprentissage chez un tatoueur, et pas un lapin de six semaines, hein ? Je parle ici d’un pro qu’a au minimum dix piges dans le métier.

Avant d’aller plus loin, une première mise au point : vu du côté client, le tatoueur semble avoir la belle vie. Il ne se lève pas à la fine pointe de l’aube, se fringue comme il veut, écoute de la bonne musique en bossant, touche la douce peau des jolies belettes pour y laisser sa marque et fait des pauses clope-café quand il le sent ! Si tu crois vraiment à ces conneries, arrête là ta lecture, prends ta pelle et ton seau et va jouer, p’tit gars. C’est un taf aussi dur et exigeant qu’un autre, sinon plus !

De plus, confondre recette et bénéfice est une vraie putain d’erreur : ce n’est pas parce que t’as payé 100 balles ta rose sur l’épaule que la tatoueur a vraiment gagné 100 balles pour une demi-plombe de turbin.

Enfin, il faut savoir que le marché est déjà pas mal saturé : quand j’ai commencé, il y a presque 25 ans, sur Bruxelles, il n’y avait que 4 ou 5 pros…. aujourd’hui, c’est pas loin de 400 artistes qui bossent dans cette ville. Autant dire que le milieu n’est pas en attente d’un concurrent de plus, et que gagner ta frugale pitance, c’est pas dans le sac !

Donc, commence pour toi le parcours du combattant qui consiste à trouver un apprentissage. Concrètement, t’as deux solutions. Soit tu repères un tatoueur qui cherche un apprenti et c’est à toi de le convaincre que tu fais l’affaire. L’envoi d’une lettre de candidature peur être utile. Évite d’être exagérément obséquieux, mais évite aussi le genre « langage SMS » : c’est un tatoueur, un employeur potentiel, pas ta copine.

Soit tu te pointes spontanément. Disons le cash ; on n’engage un apprenti que quand on en a besoin, pas pour le plaisir de consacrer du temps et du fric à la création de la concurrence ! La plupart du temps, le candidat, c’est déjà un copain, avec lequel on sait pouvoir s’entendre entre 50 et 80 heures par semaine, qu’on a déjà tatoué plus d’une fois (les apprentis non tatoués, c’est l’exception, pas la règle. C’est comme avec les poissons, y’en a des volants, mais c’est pas la majorité du genre).

Donc, si t’arrives comme un innocent, en disant « salut, on ne se connait pas, je suis tatoué juste d’un petit cœur sur le cul et je veux apprendre avec toi », tu as toutes les chances de faire rire, mais pas grand-chose de plus.

Maintenant, supposons que tu réussisses à décrocher un entretien d’embauche (avec ta face de fion, c’est pas gagné, mais on peut rêver).

Voyons un peu ce que le tatoueur va tenter de sonder, histoire d’évaluer si tu pourrais, peut-être, faire l’affaire :

  • Motivation : pour mémoire. Je n’ai jamais entendu un candidat dire qu’il n’est pas motivé. Mais il va falloir le montrer, démerde-toi !
  • Talent pour le dessin : perso, je m’en bats les couilles de savoir si t’as appris sur le tas ou si tu sors d’une académie prestigieuse. Saches toutefois que ni ta mère ni ta copine ne sont des juges valables de ce talent.
  • Aptitude à bosser en équipe : ben oui, le studio de tatouage dans lequel tu postules comme un con est constitué de plusieurs artistes, d’un perceur, et ils ont déjà leurs habitudes, des blagues en commun, un passé, des règles non-écrites, des tas de trucs comme ça. Si tu es un autiste social, ça ne va pas bien se passer, pour toi. Je me rappelle d’une nana qui se figurait, cette pomme à l’eau, être l’apprentie de mon collègue, Carlo. Sûre de son bon droit, elle se montrait déplaisante à souhait avec le reste de l’équipe, et notamment le taulier (mézigue)…elle est restée combien de temps, à ton avis ?
  • Obéissance : hé oui, minou, c’est comme à l’armée. Le tatoueur, il est déjà ce que toi, tu voudrais devenir. Autrement dit, tu peux discuter, après avoir exécuté. Et s’il te dit de grouiller ton cul pour aller chercher un café, la seule réplique possible, c’est « un ou deux sucres ? »
  • Ponctualité : normal => si le client a un rencart à 14 heures, t’es prêts à usiner à cette heure-là.
  • Horaires : t’es présent dès un peu avant l’ouverture, pour nettoyer, préparer le matos et tout le bordel. Tu te barres du taf quand on te le dit. Si tu voulais des heures supplémentaires et des récups, fallait postuler dans une administration.
  • Fric : si tu t’inscris dans une école pour apprendre un métier, tu paies. Bon, un apprentissage payant, c’est pas la règle, on est d’accord. T’attends quand même pas à gagner une fortune. On va pas te filer plein de fric pour t’apprendre ton métier, c’est toi qui est en demande, hein !
  • Plus-value : t’es arrivé jusqu’ici, et t’es pas encore retourné jouer dans le mixer, c’est bien, on va attaquer le principal. Ayant bien percuté tout ce qui précède, tu es maintenant encré de quelques belles pièces (4 ou 5, au minimum), tu aimes l’ambiance du bouclard, la musique qui y passe (si t’es plutôt plein chant grégorien et qu’au shop, c’est plutôt punk-rock... bon, comment dire… ?), tu t’entends bien avec tout le staff, avec lequel tu vas même boire un verre de temps en temps, et il t’arrive de passer, juste pour un café, ou taper la discute. Tu as un peu de tunes de coté (le matos, c’est cher et on va pas te l’offrir), suffisamment en tout cas pour tenir un peu, le temps d’être cap’ de tatouer de quoi survivre. Tu dessines relativement bien, et tu sais qu’une place d’apprenti se libère.
Maintenant, c’est à toi de faire : il va te falloir expliquer pourquoi toi plutôt qu’un autre, qu’est-ce que tu vas apporter, sachant qu’il y a deux autres candidats ?

Démerde toi pour convaincre !

Si on est déjà au clair sur tout ce qui précède, c’est un bon début… enfin, un pas si mauvais début. Si tu veux en savoir plus, tu achète mon bouquin (c’est pas comme si je gagnais des fortunes dessus, c’est toi qui vois, moi, je m’en fous), il y a un chapitre dedans qui parle des apprentis : tu verras déjà quelques-unes des conneries à éviter pour ne pas prendre la porte trop vite dans la tronche.